Qu’elles soient réelles ou fictives, un·e parente ou une superstar, les rôles modèles sont défendues par de nombreux milieux féministes. Il s’agit de figures de référence auxquelles des filles et femmes, mais aussi des membres de minorités sociales et de genre peuvent s’identifier et s’inspirer. Souvent présents dans des milieux culturellement associés aux hommes blancs, cisgenres et hétéros, ces modèles cassent les codes et s’imposent là où on ne les attend pas. Cependant, valoriser certains parcours de vie dans la société peut aussi présenter quelques limites…

Ode à Lisa Simpson

J’aime à le rappeler, ma première vraie icône féministe, c’était Lisa Simpson. Entre son engagement souvent moqué par les adultes, son profond décalage avec les enfants de son âge, ses failles et sa ténacité sans borne, je tenais un personnage féminin auquel m’identifier durant l’enfance. C’est sûrement grâce à elle, mon personnage préféré de la série, que j’ai entendu pour la première fois parler d’écologie, du terme phallocrate ou d’Eleanor Roosevelt. C’est aussi dans les épisodes mettant en avant son personnage que j’ai découvert d’importantes qualités humaines, souvent attribuées « par défaut » aux hommes : le courage de se battre pour ses convictions, l’ambition, l’intégrité, l’esprit critique, la curiosité intellectuelle. Si la série et les personnages ne sont pas dénués de défauts, j’aime à croire que Lisa a joué un petit rôle dans la construction de ma personnalité et de mon engagement féministe.

Visiblement, je n’étais pas la seule. En 1996, une enquête du New York Times rapportait qu’une (petite) vague de jeunes filles s’était lancée dans la pratique du saxophone. Une enseignante déclarait alors que ses jeunes élèves s’étaient initiées pour « faire comme Lisa ». Quelques années plus tard, dans le magazine féministe américain MS, une illustration de Lisa accompagnait la légende « les nombreuses faces du féminisme » [trad].

Ces exemples illustrent l’importance des rôles modèles. Ces personnes de référence, sortant des sentiers battus, dessinent des opportunités et offrent des représentations nécessaires à des publics généralement invisibilisés comme les femmes, les personnes racisées ou les membres de la communauté LGBTQIA+.

Face à l’invisibilisation de rôle-modèles réels [1], la pop culture ne doit pas être sous-estimée. Elle joue en effet un rôle indéniable dans notre vision et connaissance du monde. Qu’elles soient stéréotypées ou au contraire réalistes, les représentations culturelles et médiatiques favorisent une perception collective de ce à quoi le monde est censé ressembler. Ainsi des séries grand public ont permis une évolution des mentalités que ce soit en matière de visibilité LGBTQIA+ (Queer as folk, Buffy, Modern Family, The L world, Glee…) ou d’intégration de personnages racisés réalistes et complexes (Atlanta, Dear white people, Grey’s anatomy…). Attention, ces séries ne sont pas dénuées de stéréotypes !

Les limites du (rôle)modèle

Si les rôles modèles peuvent booster et motiver, ils peuvent également représenter une injonction de plus faite aux femmes et aux minorités tout en les encourageant subtilement à se comparer. « Pourquoi parvient-elle à s’en sortir, alors que nous traversons toutes deux les mêmes obstacles ? Parce qu’elle est courageuse, talentueuse, travailleuse et moi pas » [2].

Notre société a tendance à valoriser des figures aux parcours complexes qui ont réussi malgré les obstacles et grâce à leur résilience (c’est ce genre d’arc narratif que l’on retrouve presque systématiquement dans les biopics). Si notre histoire regorge d’intrigues croustillantes à propos de génie tourmentés (ce qui généralement semble justifier les pires comportements de leur part), c’est parce que ces parcours en dent de scie font vendre. En témoigne le marketing tapageur autour de l’artiste anticapitaliste Frida Kahlo dont l’image est matraquée sur tout et n’importe quoi.

Pourtant, la réussite d’une personne n’est pas liée à sa seule personnalité. Des causes multifactorielles sont à l’oeuvre comme l’environnement/le milieu social, le capital financier et culturel initial, la race[3], l’état de santé… Ces divers éléments peuvent ainsi représenter des leviers ou des freins à la réussite sociale et/ou professionnelle.

Ainsi, la figure du rôle modèle risque de favoriser une idéologie méritocratique et individualiste en gommant les inégalités profondes inhérentes à notre société capitaliste. Illustrer la réussite d’une poignée d’outsider permet alors une déresponsabilisation vis-à-vis de certaines problématiques sociales plus profondes.
Si les rôles modèles peuvent inspirer et favoriser une certaine sororité, il reste donc essentiel d’y apporter une vision critique et de sortir de schémas narratifs déconnectées de la grande majorité de la population.

[1] Même si les représentations et la visibilisation des rôles modèles évoluent, les femmes restent généralement invisibilisées de la sphère publique. Pourtant, tout au long de notre histoire, des femmes ayant réellement existé ont contribué à façonner le monde dans lequel nous vivons. Pour en savoir plus, LECOQ Titiou, Les grandes oubliées : Pourquoi l’histoire a effacé les femmes, 2021.

[2]Ce phénomène de comparaison est particulièrement présent sur les réseaux sociaux où les influenceuses·eurs sélectionnent les aspects de leur vie mis en évidence, la « bonne photo », le « bon moment ».

[3] Pour rappel, la race biologique n’existe pas, il s’agit d’une construction sociale.

Autrice
AutriceElise Voillot