En Belgique, des milliers de personnes sans-papiers vivent et travaillent pratiquement sans aucun droit. Après des années de lutte pour leur reconnaissance, les collectifs [1] se heurtent à un mur politique. C’est pourquoi ils lancent la toute première loi d’initiative citoyenne pour la régularisation de toutes les personnes sans-papiers. En amenant leur propre loi au sein du Parlement fédéral, elles·ils veulent forcer le débat autour de la régularisation. Si les partis politiques ne prennent pas leurs responsabilités pour trouver des solutions structurelles pour la dignité de ces milliers de personnes, les citoyen·ne·s se représenteront elles·eux-mêmes pour une vraie politique migratoire humaine et solidaire.
Derrière les discours et les préjugés
En poussant la porte des occupations où résident des centaines de personnes sans-papiers, on prend la mesure de l’hypocrisie et de l’indécence politique. En effet, ces personnes sont quotidiennement invisibilisées, criminalisées, exploitées et instrumentalisées à des fins électoralistes. Pourtant, ces milliers de personnes participent quotidiennement à la construction de la société.
Tous les jours, elles·ils nous livrent nos repas, servent nos bières et font la plonge dans les bars, gardent nos enfants et prennent soin des aîné·e·s, bâtissent nos maisons et nos immeubles, lavent les bureaux, remplissent l’épicerie du coin et étudient dans les écoles avec nos enfants. Derrière les statistiques, on retrouve des familles et des enfants qui participent à la société et qui la font vivre malgré les injustices et les violences sociales subies. Nous sommes semblables, à une différence (majeure) près : sans papiers, elles·ils n’ont pratiquement aucun droit. Ce « nous vs. les autres » a des implications sociales violentes au quotidien qu’il n’est plus possible d’accepter dans un pays riche comme la Belgique.
Sans droit de travailler, les personnes sans-papiers sont forcées de le faire de façon informelle pour des salaires médiocres de 5 euros de l’heure, sans aucune protection sociale et avec le risque de ne jamais se faire payer. Autrement dit, si elles∙ils sont malades elles∙ils n’ont pas de revenu. Si elles∙ils sont âgé∙e∙s, elles∙ils n’ont pas de pension. Si elles∙ils se blessent au travail, c’est très compliqué d’avoir des indemnités et elles∙ils n’ont pas droit à un revenu de remplacement. Si leur patron∙ne refuse de les payer, elles∙ils n’ont aucun moyen de pression. Bref, il n’y a actuellement pas de condition de travail plus précaire que celle d’être un·e travailleuse·eur sans-papiers. Ensuite, sans droit à la justice et contraint·e∙s d’avoir peur de la police, elles·ils ne peuvent pas porter plainte si elles·ils sont victimes d’une agression, d’un vol, de harcèlement ou de violence. Par exemple, les témoignages de femmes subissant du harcèlement sexuel sont nombreux et pourtant elles n’ont ni réellement la possibilité de changer de travail ni la capacité de porter plainte.
Dernièrement, sans droit d’être sur le territoire, elles·ils vivent avec la peur d’être arrêté∙e∙s par la police et d’être enfermé·e·s en centre fermé dans l’optique de les renvoyer vers un pays où plus rien ne les attend. En Belgique, on enferme des personnes en prison tout simplement parce qu’elles·ils n’ont pas les bons papiers. La Belgique peut-elle se targuer de respecter les droits humains en emprisonnant des personnes, qui rêvant d’une vie meilleure, ont fui des contextes de violence, de guerre ou de manque d’opportunités ?
Un combat pour la dignité et la reconnaissance : « In my name »
Face à une société qui organise leur exclusion, les personnes sans-papiers s’intègrent. Face à des partis politiques qui les ignorent, elles·ils luttent avec force pour leur reconnaissance, année après année.
Lors de chaque législature, les collectifs tentent d’interpeller les décideuses∙eurs politiques et les citoyen·ne·s. Après avoir récolté des milliers de signatures pour des pétitions, réalisé des centaines d’activités de sensibilisation, organisé des dizaines de manifestations rassemblant des milliers de citoyen∙ne∙s, occupé les sièges des partis politiques et fait des grèves de la faim pendant plus de 60 jours, le silence du gouvernement est indécent et révoltant.
Les gouvernements successifs ferment les yeux sur la situation sociale de ces milliers de personnes en refusant de les régulariser. Ces partis politiques jouant sur les peurs et la haine de l’autre poussent tout l’échiquier politique vers la droite. Plus attachés à conserver leur place dans les sondages qu’à défendre leur identité politique, ils jouent le jeu de l’extrême droite et participent à sa normalisation ?
Alors, face à ce silence, la campagne In My Name s’invite au parlement fédéral pour forcer le débat sur la régularisation de toutes les personnes sans-papiers. Si les partis politiques ne prennent pas leurs responsabilités, les citoyen·ne·s n’attendront pas qu’ils réagissent, car nous refusons que des milliers de personnes soient forcées de vivre indignement et illégalement en Belgique.
Après « Not in my name » allons vers In My Name :
Après la campagne Not In My Mame qui dénonçait la politique migratoire du gouvernement Michel en 2017, la campagne In My Name veut capitaliser sur le mouvement citoyen pour devenir une force de proposition législative. En effet, ce mouvement citoyen a pour objectif de déposer la toute première loi d’initiative citoyenne de Belgique pour la régularisation des personnes sans-papiers.
Qu’est-ce qu’une loi d’initiative citoyenne ? Depuis 2019, chaque citoyen∙ne peut déposer une proposition de loi sur le site du Parlement fédéral. Si la proposition de loi réussit à récolter 25 000 signatures dans l’année qui suit sa déposition, celle-ci sera automatiquement débattue au Parlement fédéral.
Bien loin d’une pétition classique, ce mécanisme est une manière pour les citoyen∙ne∙s de susciter et de participer directement aux débats démocratiques. La proposition de loi, déposée par les collectifs, fixe des critères clairs, justes et permanents pour la régularisation. Actuellement, il n’existe aucun critère clair dans la loi du 15 décembre 1980 pour analyser les dossiers des personnes sans-papiers. On dit alors que le secrétaire d’État à l’asile et à la migration, Sammy Mahdi, dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour traiter les dossiers. Autrement dit, le secrétaire d’État peut choisir de manière tout à fait arbitraire de refuser une demande de régularisation, et ce malgré de nombreux éléments attestant de l’intégration et de la participation de la personne au sein de la société.
L’épisode de la grève de la faim qui s’est déroulée du 23 mai au 21 juillet 2021 était particulièrement représentatif de l’ampleur de ce pouvoir discrétionnaire et de la politique migratoire inhumaine poursuivie par le secrétaire d’État à l’asile et la migration. Alors que les grévistes avaient obtenu un accord sur des lignes directrices qui devaient guider l’analyse des dossiers, les réponses délivrées par l’Office des étrangers trois mois plus tard étaient pratiquement toutes négatives. Pourtant, certains dossiers remplissaient l’intégralité des exigences fixées par les lignes directrices.
Face à l’arbitraire, il est indispensable d’inscrire des critères clairs et justes dans la loi pour la régularisation des personnes sans-papiers. En déposant la toute première loi d’initiative citoyenne de Belgique pour la régularisation, les collectifs proposent une solution structurelle loin des discours électoralistes et des fausses promesses. En effet, à l’heure où la méfiance des citoyen·ne·s envers les institutions politiques ne cesse de croître, ce mécanisme d’initiative citoyenne est une opportunité pour générer un débat politique serein et constructif.
[1] La Coordination des sans-papiers de Belgique ; l’Union des sans-papiers pour la régularisation ; la Zone neutre.