Précarité, stéréotypes de genre… L’école reproduit et perpétue les inégalités sociales. Face à cela, l’enseignement alternatif est-il une solution ?

L’école, qui devrait être un puissant instrument d’égalité, ne fait aujourd’hui que perpétuer, voire accroitre les inégalités entre enfants. Les chiffres sont hélas parlants. D’après la dernière enquête PISA [1] , la Fédération Wallonie-Bruxelles se caractérise par une très importante discrimination sociale, le fossé entre élèves de milieu social défavorisé et élèves de milieu social élevé étant le plus grand de l’Europe occidentale. En ce qui concerne les discriminations de genre, à partir du secondaire, les performances des filles sont légèrement meilleures que celles des garçons mais c’est le choix des filières qui révèle de grandes inégalités. En effet, nombreuses sont les options suivies presque entièrement par des filles ou par des garçons. Ce constat n’a rien d’anodin quand on sait que le taux de chômage est beaucoup plus important dans les secteurs dits « féminins » et les salaires bien plus avantageux dans les secteurs dits « masculins. » Face à ces failles et grâce à la liberté d’enseignement inscrite dans notre Constitution [2], de plus en plus d’écoles qui proposent une alternative à l’enseignement traditionnel voient le jour. Celles-ci se réclament tantôt à pédagogie Freinet, Montessori, Decroly ou Steinert-Waldorf, tantôt à inspiration démocratique ou écologique. Malgré leurs spécificités (et parfois leurs contradictions), ces pédagogies souhaitent toutes recentrer l’enseignement sur l’enfant et non sur les contenus, c’est-à-dire permettre aux élèves de participer à l’élaboration de leurs apprentissages. De cette manière, les enfants développent leur autonomie, leur créativité, mais également leur confiance en elles/eux. Ces méthodes éducatives s’adaptent aux différentes formes d’intelligence des élèves ainsi qu’à leur rythme. Souvent, et afin d’éviter toute compétitivité, ces écoles ne pratiquent aucun système de cotation.

L’ENSEIGNEMENT ALTERNATIF COMME REMPART AUX INÉGALITÉS ?

Cette émergence d’écoles aux pédagogies alternatives illustre le malaise et le décalage qui existe entre les besoins des familles et le système d’apprentissage traditionnel qui leur est proposé. Mais ces établissements répondent-ils vraiment à la problématique des inégalités ? Profitent-ils vraiment aux laissés pour compte du système traditionnel ? Deux aspects attirent ici notre attention.

D’abord, même si de plus en plus d’écoles publiques commencent à s’inspirer des pédagogies alternatives, la majorité des établissements les pratiquant sont privés. Leur source principale de financement vient souvent des frais scolaires déboursés par les parents. Bien que cela soit un paradoxe (un des enjeux fondamentaux pour Freinet, par exemple, était l’émancipation des classes populaires), de nombreuses familles se retrouvent d’emblée privées d’accès à ces écoles en raison de leur situation économique. Ensuite, les familles ne sont pas toutes égales face à l’accès à l’information. Les milieux les plus aisés sont généralement ceux qui ont les meilleures informations, les meilleurs réseaux et la meilleure compréhension du système. Ils seront donc «  servis  » les premiers, tandis que les autres risqueront de se voir exclus. Ces deux aspects vont renforcer la ségrégation entre classes sociales. Certes, tous les parents ont la liberté d’inscrire leurs enfants dans une école à pédagogie alternative mais, dans les faits, la composition des classes est dominée par des élèves issu-e-s de familles économiquement et/ou culturellement favorisées. Alors, que faire face, d’une part, à un système traditionnel vecteur d’inégalités et, d’autre part, à des alternatives manquant de mixité sociale ?

FAIRE DE L’ÉCOLE UN SERVICE PUBLIC FORT !

L’État doit continuer à mettre en place des politiques publiques efficaces permettant de rendre notre enseignement plus égalitaire et évitant ainsi la recrudescence d’écoles « à la carte » privatisées. Appréhendé ainsi, l’enseignement public pourrait à nouveau assurer sa mission d’ascenseur social et garantir dans les faits ce que la théorie promet, par exemple à travers le Pacte d’Excellence. Ce dernier se construit, entre autres, autour de la lutte contre les inégalités du système scolaire. Des mesures telles que la valorisation des métiers qualifiants ou l’introduction du tronc commun laissent entrevoir une entrée positive en la matière. Malheureusement, l’Histoire nous le montre depuis vingt ans, beaucoup de réformes éducatives d’ambition n’ont finalement donné lieu qu’à peu de changement. Seule une planification sur le long terme pourrait permettre de concrétiser de plus nombreuses et plus ambitieuses propositions. Sans savoir de quelle coalition sera composée la prochaine législature, le long terme semble compliqué à envisager. À suivre…

Pour aller plus loin :

[1] Enquêtes menées à propos des systèmes éducatifs des pays de l’OCDE et des performances de leurs élèves âgés de 15 ans.

[2] La liberté d’enseignement est inscrite dans la Constitution dès l’indépendance de la Belgique en 1830. L’enseignement libre signifie que n’importe qui peut ouvrir une école et y prodiguer l’enseignement qu’elle/il veut sans conditions à l’exception bien sûr de celle de ne pas enfreindre les lois, l’ordre public et les bonnes mœurs. Toutefois, l’école est soumise à reconnaissance (validité du diplôme) et subventionnement (financement) selon des critères fixés par les gouvernant-e-s.

Rosine HerlemontAutrice