En décembre 2022, nous avons lancé un appel à témoignages pour que chaque personne concernée puisse s’exprimer à propos de ses seins. Vous avez été nombreuses·eux à répondre à notre appel. Voici quelques extraits de ces échanges [1].

INÈS.

« Je suis une femme de 22  ans, je me suis fait opérer la veille de mes 20 ans pour une réduction mammaire. Je faisais du F-G à l’époque pour une taille XS de buste, on va dire. Actuellement je ne porte plus vraiment de soutien. Je fais du C, je pense, pour toujours le même XS. Ma poitrine me complexait énormément. Depuis mon opération, je revis autrement mon rapport à mes seins, mon corps, mes habits et le regard des autres. Ça a été un boost de confiance en moi et de réappropriation de mon corps, grâce à cela j’ai aussi appris à me détacher du regard de l’autre sur moi. J’ai d’ailleurs conseillé la démarche à plusieurs de mes amies qui se plaignaient aussi de leur forte poitrine ».

MARION.

« En 2017, j’ai voulu me faire un piercing à un téton. C’était un peu une volonté de rébellion après une rupture d’une relation hyper toxique où le gars menaçait de me quitter si je faisais des piercings, tattoos, etc. J’ai d’abord fait un seul téton, puis l’année d’après j’ai fait le second. En 2018 également, j’ai décidé de faire des tattoos sur le contour de mes seins. Deux petits cœurs élaborés. Franchement, ça a complètement changé mon regard sur mes seins. Qu’est-ce que j’aimais les regarder dans le miroir! De façon globale, les piercings et les tattoos m’aident à apprécier mon corps et à le trouver beau, et c’est d’autant plus vrai concernant mes seins ».

LEILA.

« Je fais un bonnet E-F, c’est contraignant. Au plus je grandissais, au plus mes seins grossissaient et au plus je me sentais sale, comme un objet, vis-à-vis des gens. C’est très difficile pour moi de m’habiller, je dois toujours prendre deux, trois tailles au-dessus. J’ai souvent l’air d’être un sac. Beaucoup de personnes veulent des gros seins, mais c’est un malaise permanent pour moi, ça n’a aucun avantage. Ça dévalorise l’image que j’ai de moi à cause des autres, j’ai l’impression d’être prisonnière de leur regard. Il y a aussi le regard des femmes qui est jugeant, au-delà de la lubricité des hommes. Je suis triste de ne pas passer de journées à l’extérieur sans soutien-gorge. Aux yeux de la société, c’est inacceptable parce que je ne rentre pas dans une norme, je suis harnachée, prisonnière du soutien-gorge ».

MAITÉ.

« Aujourd’hui, j’adore mes seins! Ça ne me choque pas qu’une femme mette un décolleté, je trouve ça beau. Pas forcément sexuellement parlant, mais comme un beau collier. C’est cool de porter un beau bijou, mais pas forcément de n’avoir que l’attention là-dessus. Je trouve ça agaçant du coup, quand les gens matent les seins de façon obsessionnelle. Aujourd’hui, je mets moins de décolletés qu’avant, je me dis que j’ai plus l’âge, mais aussi parce que je vis à Bruxelles, c’est con, mais c’est comme ça. J’ai essayé le no bra pendant la crise sanitaire, ce qui était chouette. Maintenant, je n’en mets pas tout le temps. J’ai quand même mis en place des stratégies dans le port de mon soutif. Par exemple, je ne vais pas ne pas porter de soutien[1]gorge au travail ou si je dois trop marcher. Si on devine trop mes seins sous mes vêtements, je vais aussi avoir tendance à porter un soutien-gorge ».

MANON.

« Ayant eu mes règles à 9 ans, je me suis formée très rapidement. Ma mère ne m’ayant jamais préparée, ma grand-mère m’a soutenue et, ce fut elle qui m’a donné les premiers ‘conseils/soins’. Ma relation avec ma poitrine fut dévastatrice, car elle m’a amenée à recevoir moqueries et rejets d’amies jalouses  de ces nouveaux regards des garçons. En refus total d’accepter ce nouveau corps, car cette pression sociale, je ne mis pas de brassières ni de soutiens-gorge. Ma poitrine prenait du volume, mais tombait. Mes premières relations sexuelles se déroulèrent dans le noir complet afin de ne pas « exposer »cette partie de mon corps tant rejetée. Aujourd’hui, je suis en couple avec un homme de 27 ans mon aîné. Amour, tendresse, patience et douceur, tels sont les adjectifs de notre relation qui m’ont permis dès le début de notre relation de m’ouvrir à lui… à moi! En 2022, pour la première fois, nous avons été avec mon compagnon dans des thermes nudistes. J’ai ainsi marché devant plusieurs dizaines de personnes, nue, seins libres. La libération. Notre relation, basée sur le libertinage sexuel et l’amour unique, m’a permis d’accepter mon corps au travers de différentes relations sexuelles. Le sexe me libère et est pour moi, mon meilleur moyen d’expression dans la vie, je suis moi-même tout simplement. À 25 ans, je suis maintenant une femme épanouie, aimant ma poitrine même si elle est très sujette à la gravité. Elle est juste unique ».

SARAH.

« Mes seins, qui poussent trop tôt, deviennent vite gênants. Je subis les regards de garçons de mon âge, mais aussi de personnes beaucoup plus âgées. Il y a très tôt une prise de conscience de cet atout féminin, ça n’a pas toujours été évident dans mon parcours de jeune fille. Des fois, j’avais envie de mettre en valeur mes seins, mais j’ai vite senti que c’était trop lourd à porter dans tous les sens du terme.

Je ne les ai jamais considérés comme un objet érotique et sexuel. J’ai rendu mes seins insensibles à toutes stimulations ou caresses. Je me suis dissociée d’eux, j’ai fermé cette partie de mon corps. J’avais très envie de les faire disparaître, ce qui frustre particulièrement mon conjoint. À présent, je n’en parle plus avec lui, j’ai enterré le sujet, mais c’est un petit moteur dans ma tête. Je sais qu’à la ménopause ma poitrine va encore bouger et ça me frustre de me dire que je vais encore subir les évolutions de mon corps.

J’ai subi énormément d’injonctions en ayant grandi dans les années  80. Je suis prisonnière de cette image de la poitrine parfaite, jeune. J’observe beaucoup sur les réseaux les campagnes autour de l’acceptation de son corps, notamment le no bra. Ça m’épate. Je serai incapable de le faire aujourd’hui parce que l’on est encore trop sexualisée sur cette partie de nos corps. Il y a encore énormément de choses à dire et à faire en matière de libération du corps des femmes ».

CHARLIE.

« J’avais 8 ou 9 ans. Je jouais dans la cour. Un garçon de mon âge me court après. Il met ses mains sur ma poitrine, pince, dit « pouet-pouet ». À cet âge, je n’avais rien à pincer. Mais parce que les gens autour de moi me connaissaient comme une petite fille, ils se sentaient libres d’imaginer le corps que j’allais un jour développer. Même avant d’exister, mes seins, ils n’étaient pas à moi. En portant mes premiers soutiens, j’avais l’impression d’indiquer l’espace où mes seins devraient pousser. Tout le monde semblait les attendre. Moi je m’en fichais un peu. J’étais curieux je suppose et content de pouvoir porter des sous-vêtements avec de jolis motifs.

À 13  ans, mes seins ont poussé. Plus question d’acheter une brassière thème bonbon dans le rayon enfant. Les seuls choix qui s’ouvrent à moi sont des affolantes dentelles, qui ont l’air d’être plus là pour révéler que pour soutenir, ou bien des soutiens de couleurs unies — tons chair ou bleu foncé – rébarbatifs. À nouveau, on la sent, cette assignation « femme ». Je n’ai plus le droit d’être un enfant.

A 15 ans, je me rends compte que si je suis mal à l’aise avec cette constante assignation « femme », c’est peut-être parce que je me sens à l’étroit dans cette case. Je me suis rendu compte que je suis non-binaire, que je suis agenre, que j’ai le droit d’être autre chose qu’une fille.

J’ai commencé à cacher ma poitrine sous un binder DIY, c’est-à-dire des couches de vieux bas nylon découpés. Tout ça pour échapper à la femme qu’on essayait de me forcer à devenir.

J’ai abandonné l’idée d’être une femme et les soutiens-gorge. Mais j’ai aussi abandonné mon binder DIY. Parce que je me suis rendu compte que je n’avais pas besoin de cacher ma poitrine pour être autre chose qu’une femme, je n’avais pas besoin de détester mes seins pour prouver que je suis trans. Parfois, je trouve ma position étrange. Tant de discours sur la transidentité tournent autour de l’inconfort qu’on peut avoir par rapport à son corps qu’au final c’est difficile de faire reconnaître mon corps comme le mien, comme un corps trans. Dans les yeux de beaucoup de gens, j’ai un corps de fille, j’ai des seins, donc je dois être une fille, ou alors je dois vouloir cacher ce corps. En vrai, j’aime mes seins et ma féminité, quand on me permet de l’explorer comme je veux plutôt que de m’enfermer dedans ».

YAELLE.

« Je suis une femme trans hormonée. Ça fait un an et 6 mois que je suis hormonée et ma poitrine s’est développée ces derniers mois. C’est assez confusant d’avoir le corps d’une jeune pubère de 13, 14 ans alors que je suis une adulte de 28 ans. Beaucoup de personnes cis pensent que les personnes trans n’ont pas une réelle poitrine, que c’est forcément artificiel. On a les mêmes processus physiques que les femmes cis. Certaines femmes trans peuvent même allaiter.

En tant que femme bisexuelle, je n’ai jamais vu la poitrine comme un objet sexuel. Je n’ai pas pensé à faire d’augmentation mammaire, car pour moi les seins ne représentent pas ma féminité.

Je constate qu’il existe peu d’informations liées à la santé des seins des personnes trans. Mon médecin, membre de la communauté LGBT est attentif à ces questions, mais c’est un peu une exception.

J’ai beaucoup d’interrogations par rapport au cancer du sein, car plus ma thérapie hormonale avance, plus je suis à risque. Ce n’est pas évident d’aborder ces questions parce qu’on ne sait jamais comment les médecins vont réagir face à ce développement de poitrine « pas ordinaire ». Elles·ils ne sont pas toujours safe et inclusif. Il y a des questions déplacées du personnel soignant. Je n’ai pas envie d’aller chez le médecin pour faire un débat sur mon existence.

J’ai de la chance, je n’ai pas connu de problème de santé vis-à-vis de ma poitrine. Certains dosages hormonaux peuvent générer des effets secondaires. J’ai un développement de croisière par rapport à ma puberté… Si on peut parler de croisière quand on parle de puberté (rires)! ».

COLETTE.

« J’ai été opérée quand j’avais 19 ans. Mon père était mort 5  ans plus tôt et à ma majorité, j’ai touché un peu d’argent. J’avais toujours été terriblement mal dans ma peau à cause de ma petite poitrine et cette somme d’argent m’apparaissait pouvoir résoudre mes complexes. Je me suis jetée à l’eau. Sans en parler à qui que ce soit. J’avais peur qu’on essaye de m’en dissuader, qu’on m’en empêche.

Quelque temps après que les polémiques aient éclatés dans les médias à propos des prothèses PIP, j’ai voulu récupérer mon dossier médical en 2012 et je n’ai jamais pu l’obtenir. Mon chirurgien ne travaillait plus au sein de la clinique dans laquelle l’opération avait eu lieu et personne n’a voulu assumer ses responsabilités : ni lui, ni l’hôpital. Chacun se renvoyait la balle.

J’ai pris rendez-vous avec mon chirurgien pour le confronter. Je lui ai demandé s’il avait travaillé avec des prothèses PIP et il m’a confirmé qu’il en avait placé à plusieurs de ses patientes. Pour ce qui était de mon cas, il ne pouvait rien dire, il n’avait plus mon dossier. Je devais donc rester avec mes doutes. J’avais une bombe à retardement dans mon propre corps.

Puisque j’avais tout fait en douce, je n’ai pas pu faire part de mes peurs à mes proches. J’ai pris la décision de me faire réopérer en 2014, dans une clinique privée, afin de faire remplacer ces implants. J’ai dû contracter un emprunt pour cette autre opération. Elle était la seule solution, car aucune échographie n’aurait pu m’indiquer s’il s’agissait de prothèses PIP ou non. J’étais coincée. Après cette deuxième opération, le chirurgien a bien confirmé qu’il s’agissait de PIP et il a surtout indiqué que l’une d’entre elles s’était ouverte. Si je n’avais pas pris la décision d’agir rapidement, qui sait ce qui aurait pu arriver ? Avec le recul, je prends conscience de l’ampleur de tout ce qui s’est passé.

Aujourd’hui, j’ai plus de 30  ans. Rien de ce qu’il s’est passé n’est normal. J’ai enduré des violences dans ma chair. Mon corps gardera pour toujours les traces de ces mauvais traitements. Je n’ai pas le sentiment que mon corps ait été respecté et je me sens toujours blessée ».

[1] L ’ensemble des noms a été modifié par souci de confidentialité. D’autres témoignages ont été directement intégrés dans certains articles, plus loin dans ce dossier. L’intégralité des témoignages est disponible en ligne sur notre site : https://www. femmes-plurielles.be/.

Autrice
AutriceElise Voillot