La République démocratique du Congo (RDC) est le deuxième plus grand pays d’Afrique, avec une population qui se rapproche des 100 millions. Des centaines d’ethnies différentes cohabitent sur son immense territoire, souvent traversé par des conflits violents. Dans le contexte actuel, où le pays se prépare à de nouvelles élections, nous avons interviewé Gabrielle Pero, avocate et Directrice générale du CENADEP (Centre National d’Appui au Développement et à la Participation Populaire), organisation partenaire de Solsoc qui accompagne des dynamiques citoyennes, basée à Kinshasa. 

Pourriez-vous nous parler de votre parcours ?

Pendant ma jeunesse j’ai fait des études en droit, je suis avocate depuis plus de 17 ans. Dans le souci de défendre les plus faibles, j’ai commencé à travailler comme bénévole dans des associations pour la défense des droits des femmes et dans la lutte contre la corruption. En 2011, j’ai rejoint le CENADEP, d’abord comme chargée des projets, puis chargée des programmes, coordonnatrice des programmes et enfin en juillet 2022 je suis devenue Directrice générale.

En tant que femme, avez-vous rencontré des obstacles dans votre parcours ?

L’un des plus grands obstacles c’est le regard des autres sur ton travail, la perception de la société à l’égard des femmes. Le problème principal est qu’on croit difficilement à l’expertise d’une femme dans un domaine donné. Alors que nous sommes aussi capables que les hommes, il faut toujours se battre plus que les hommes pour assurer notre place et le respect des autres.

En RDC, les prochaines élections se rapprochent. Dans cette période électorale actuelle, quelles sont les revendications spécifiques des femmes ?

La question des femmes est un sujet énorme dans un pays comme la RDC, il y a beaucoup de travail à faire. Nous demandons d’abord plus de représentation des femmes au niveau du gouvernement, du parlement, dans l’administration publique et dans les positions de pouvoir en général. Le CENADEP travaille en ce moment pour pousser à ce que plus de femmes soient inscrites sur les listes électorales.

Ensuite, nous cherchons à sensibiliser au maximum la population sur ce que nous appelons le « vote utile » c’est[1]à-dire convaincre les personnes, surtout les femmes des zones rurales et périphériques, à voter pour les candidat∙e∙s qui s’engagent véritablement pour le développement du pays et de la communauté et pas sur la base des amitiés ou des appartenances culturelles et tribales.

Troisièmement, nous revendiquons l’intégration dans le budget national de moyens importants pour accompagner le processus vers l’égalité hommes-femmes. L’État congolais ne doit pas seulement compter sur les fonds de l’aide au développement, venant des institutions financières internationales ou même de la coopération, mais il doit y mettre des moyens et passer des discours à la pratique.

Dans cette lutte pour l’égalité, nous demandons également l’accès des femmes et des filles aux services sociaux de base de qualité (à l’école, aux soins de santé, à l’énergie et à l’eau potable dans les zones rurales du pays) ainsi qu’une lutte plus ferme contre les violences sexuelles.

Pour vous, que signifie le féminisme ? Et vous définissez-vous comme féministe ?

Pour moi, le féminisme c’est un mouvement qui lutte pour l’égalité des sexes. Je suis une féministe engagée, je suis au front depuis des années pour défendre les droits des femmes. Je suis dans plusieurs mouvements et plateformes féministes au niveau national, régional et international. Première femme à être promue Directrice générale du CENADEP après 20 ans d’existence, je continuerai le combat depuis cette position.

Est-ce que le mot « féminisme » est facilement utilisé en RDC ?

Le terme féminisme est moins utilisé au Congo. On parle plus de l’intégration ou de la promotion du genre pour décrire tout le processus de réduction des inégalités hommes-femmes. On parle des organisations féminines, mouvements féminins ou mouvements des femmes. La terminologie féministe n’est pas bien comprise par une frange importante de la population et même des institutions du pays, qui pourtant sont censées lutter pour l’égalité des sexes.

Il faut comprendre, les défis dans notre pays sont tellement énormes et il y a tellement à faire pour réduire ces inégalités qu’en ce moment, il faut concentrer toutes nos énergies sur des thèmes fondamentaux. L’héritage culturel sur la place des femmes est lourd et la société ne comprend toujours pas l’importance du rôle des femmes en tant qu’actrices de développement à tous les niveaux. Nous devons continuer à œuvrer pour changer cette perception sur les femmes afin de transformer la société.

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