Août 2019. Entre deux randos, au bord de la piscine ou assises derrière leurs bureaux, les rédactrices de Femmes Plurielles ont eu le plaisir de dévorer la toute première BD féministe éditée de Marine Spaak : Sea, sexisme and sun. Si son nom vous est familier, c’est normal ! Outre une collaboration fructueuse avec notre magazine, Marine Spaak dispose d’une importante communauté de fans grâce à son blog Dans mon tiroir dans lequel elle décortique, non sans humour et bienveillance, le sexisme au quotidien. À l’image de son blog, Sea, sexisme and sun est une bouffée d’air féministe à se procurer de toute urgence ! Nous l’avons rencontrée pour qu’elle nous parle de son travail.
Comment t’es-tu lancée dans le monde de la BD ?
J’ai toujours aimé dessiner mais sans pour autant faire d’école d’art. J’avais plein de dessins, mais je ne les montrais à personne. J’avais un copain qui trouvait dommage de garder tout ce travail juste pour moi. À l’époque, c’était la grande mode des blogs. J’ai donc décidé d’en réaliser un pour y publier mes illustrations pour que mes copines·ains et ma famille puissent les voir. Au début, c’était surtout des représentations de ma vie de tous les jours. Puis, au fur et à mesure, certains sujets ont commencé à m’interpeller, j’ai donc profité de mon blog pour les publier. Avant le féminisme, je me suis intéressée au végétarisme. Dans mon parcours professionnel, j’ai d’abord fait une école d’ingénieur·e·s en agronomie à Paris puis j’ai obtenu un double diplôme en sciences humaines et sociales. Je me suis ainsi retrouvée, à la croisée de ces deux parcours, à étudier la perception sociale de l’élevage. Ça m’a énormément intéressée ! À l’époque, j’ai travaillé avec des associations de protection animale et j’ai fini par réfléchir à ma propre consommation de viande. C’est la première fois que j’ai eu envie de faire passer un message sur mon blog. J’ai réalisé des BD qui commençaient toutes par : « Avant d’être végétarienne je pensais que » et qui parlaient de cette prise de conscience, des croyances que j’avais et que je souhaitais déconstruire. J’ai utilisé le blog pour raconter tout ça. C’est là où mon blog a commencé à atteindre d’autres cercles que le mien et à prendre un tournant militant.
Puis tu as commencé à aborder les questions féministes et à collaborer avec Femmes Plurielles…
En effet, je me suis ensuite intéressée aux questions féministes, notamment par le prisme des violences sexuelles qui m’ont touchée moi, mais également des copines. J’ai réalisé que certaines choses n’étaient pas normales. J’ai alors commencé à lire beaucoup d’ouvrages, dont King Kong Théorie qui est devenu ma révélation féministe. Quand tu commences à avoir de telles prises de conscience, tu veux que le monde entier sache ce que tu viens de découvrir. J’avais vraiment envie d’expliquer mon ressenti et pourquoi mon avis sur certaines choses avait changé. Mon blog était déjà en ligne depuis un moment quand Marie-Anaïs, du magazine Femmes Plurielles, m’a contactée. Elle cherchait des illustratrices pour mettre en images les différentes expertises des Femmes Prévoyantes Socialistes. C’était pile ce que je voulais faire ! Ça m’apportait du contenu et des échanges, ça me stimulait et en plus c’était rémunéré, donc une belle valorisation de mon travail !
Tu es passée d’un blog perso à l’édition de ton premier ouvrage Sea, sexisme and sun. Quelle étape !
C’est un peu ma communauté en ligne qui a permis tout ça. À l’époque, j’étais à environ 10 000 fans sur Facebook Ce nombre important de personnes qui me suivait a commencé à intéresser les maisons d’édition. Quatre m’ont contactée dont une éditrice de First Editions, intéressée par les questions féministes. Les éditions First sont très connues pour leur collection Pour les nuls et je trouvais ça top qu’elles s’intéressent aux questions féministes. C’est en plus leur première BD et elles cherchent à développer ce créneau-là. Ça a été une sacrée aventure !
Quatre maisons d’édition ? La BD féministe aurait-elle le vent en poupe ?
C’est un sujet qui a commencé à faire parler de lui. Il y a quelques BD précurseuses qui se sont bien vendues (Liv Strömquist, Les culottées, Diglee…). Je pense aussi que les éditrices·teurs cherchent la carte de la sécurité en travaillant avec des personnes qui disposent d’une importante communauté sur les réseaux sociaux. Comme les féministes sont très impliquées en ligne et publient de nombreux contenus gratuits, elles finissent par être repérées : si l’on passait par « la grande porte » en envoyant des dossiers de candidature, je ne suis pas sûre qu’on aurait un tel succès. C’est à la fois positif car il y a plus de contenus féministes disponibles pour les lectrices·teurs et si ça fonctionne bien, il y aura de plus en plus d’autrices·teurs qui seront visibilisé·e·s. Mais il faudrait peut-être être plus courageuse·eux et ne pas forcément attendre qu’une personne dispose d’une communauté pour l’éditer.
Lorsque l’on lit Sea, sexisme and sun, on s’aperçoit que tu arrives à rendre tes contenus accessibles tout en y insufflant du fond très documenté. Comment t’y prends-tu ?
Je pense que la façon d’aborder les contenus et de référencer mes BD vient de ma formation scientifique. J’avais l’impression que beaucoup de choses avaient déjà été dites depuis les années ‘50 en matière de féminisme : sur la langue française, l’occupation de l’espace public, la sexualité, etc. Quand on lit Benoîte Groult ou Simone de Beauvoir, on se rend compte qu’il n’y a pas besoin de réinventer le féminisme sur tous ces aspects ! Par contre, il ne s’agit pas forcément de contenus accessibles, il faut déjà être convaincu·e·s par le sujet pour lire ce type de dossier ! Ma volonté était de toucher un public plus large. Mon choix de thématiques varie. Certains sujets abordés dans mon travail sont liés à ma collaboration avec le magazine Femmes Plurielles. Par exemple, je n’avais pas vraiment prévu de travailler sur la maternité : je n’ai pas d’enfants et ne me sentais pas forcément légitime. Mais en en discutant avec Marie-Anaïs, je me suis rendu compte qu’on pouvait en parler de façon plus globale, notamment en travaillant la question du non-désir de maternité. Pour la BD éditée, j’ai dû faire des choix. J’ai pris les planches les plus descriptives de la vie quotidienne : le fait de se considérer féministe, la question des privilèges… Le B.A.-BA quand on veut s’intéresser au féminisme.
Plus précisément, peux-tu me dire de quoi parle ton livre ?
Il s’agit d’un ouvrage féministe, intime et politique. Pour moi, s’il n’y avait pas d’intime, je ne pourrais pas sensibiliser les gens au féminisme car il faut que chacun·e puisse se rendre compte que ces situations nous arrivent tous les jours et que ça nous concerne pour qu’on ait envie de s’engager. Mais si je ne restais qu’au stade de l’intime, on s’empêcherait d’aborder la question au niveau politique, on ne militerait pas pour la cause et pour faire bouger les choses.
Que dirais-tu à un·e jeune bédéiste qui souhaiterait se lancer ?
Bonne question ! Ma prof de BD disait toujours : « Toutes les histoires ont déjà été racontées, mais jamais à votre manière ». J’aime bien l’idée que toi, tu as quelque chose à apporter. Ça peut être dans le choix des sources, ou bien dans le fait d’apporter des contenus ultra documentés, d’utiliser l’humour noir, d’aborder une thématique que peu de personnes connaissent… Quand tu as trouvé ton truc à toi, il faut y aller à fond, terminer ce que tu as commencé et y prendre du plaisir. En faisant quelque chose que l’on aime, on avance. Au fur et à mesure, ce sera de mieux en mieux et les gens vont commencer à s’y intéresser. Il ne faut rien lâcher et se contenter de peu au début. Des fois, on est super exigeant·e envers soi-même. Il faut prendre confiance, y aller doucement et être indulgent·e. Quand je regarde mes premiers dessins, ce n’est pas toujours très bon, mais si je ne les avais pas publiés, je n’en serais pas là aujourd’hui.
Il faut aussi trouver ses « pom-pom girls et boys », c’est-à-dire des gens, dans ton entourage professionnel ou personnel, qui sont derrière toi et qui trouvent ce que tu fais absolument génial. C’est hyper puissant car ces gens vont entretenir ta confiance en toi. Ils vont toujours trouver ce qu’il y a de bien dans ta BD. Toi (et même d’autres), tu vas voir les défauts et te critiquer. Les « pom-pom girls et boys » vont te dire « Vas-y continue c’est super ! » Les deux m’ont vraiment encouragée à continuer. Et enfin, je dirais qu’il faut savoir développer sa communauté car – quoi qu’on en pense – les réseaux sociaux restent un moyen efficace pour convaincre les éditrices·teurs.