Pourquoi regrouper sous un même drapeau (multicolore, certes), dans un même sigle, dans un même combat, des caractéristiques qui semblent n’avoir rien à voir les unes avec les autres, alors même que l’on se plaint souvent que soient confondues identités de genre et orientations sexuelles, par exemple ? Qu’ont en commun les personnes lesbiennes, gay, bi*, trans*, queer, intersexes* ou encore asexuelles* [1] ?
Une même histoire de répression et de condamnation
Historiquement, des luttes communes se sont constituées en réaction à des oppressions qui ne distinguaient pas homosexuel·le·s, transgenres* ou travesti·e·s… La condamnation par la loi et la pathologisation portaient de manière générale sur tout ce qui était désigné comme des « perversités » [2]. Le délit était – et l’est encore dans certaines mentalités – de déroger aux rôles sociaux de genre et de bienséance : une femme doit être comme ci, un homme doit être comme ça, en termes d’apparence, de comportement, et d’attirances sexuelles et amoureuses. La transidentité, l’homosexualité, mais aussi le travestissement, ou même juste un comportement trop « masculin » pour une femme ou trop « féminin » pour un homme représentent des transgressions de l’ordre patriarcal. Cet ordre est justifié par ce qui serait « naturel » : deux sexes bien définis et complémentaires, engageant une activité sexuelle dans un but reproductif.
Contre l’ordre hétéro-cis-sexiste*
Même aujourd’hui, où l’on sait que le « naturel » est bien plus variable et nuancé que notre ordre social et moral, les écarts aux « normes » de genre font peur : ils constituent une remise en question du système sexiste dans lequel on vit, ils menacent l’ordre social établi. Ainsi, discriminées car elles sortent de la « norme », il y a un sens à ce que les personnes lesbiennes, gay, bi*, trans*, queer, intersexes*, asexuelles* ou autres (le « + » est là pour signifier l’infinité de possibilités d’identités divergentes de la « norme ») s’allient dans la lutte contre l’ordre hétéro-cis-sexiste*. Il est par ailleurs commun qu’une personne se définisse par plusieurs identités, ou ne veuille, de manière générale, pas se définir de manière tranchée ! Le mot queer est à la base une insulte dans les pays anglophones et désigne tout ce qui est « bizarre », qui sort de la « norme ». Ainsi des personnes peuvent se dire genderqueer (non conformes au niveau du genre), ou queer tout court pour désigner une identité non-définie précisément et qui n’entre pas dans les cases « dyadiques* », « cis* » ou « hétéro ».
Des conflits et rapports de pouvoir au sein des luttes
Cependant, la lutte LGBTQIA+ n’est pas que licornes, paillettes et bons sentiments. Il a existé et existe encore de nombreuses divergences et dissensions : le besoin de se faire accepter par la société, la nécessité de se montrer « normal·e » pour être toléré·e peut pousser à la discrimination même au sein de groupes discriminés. Par exemple, alors que des personnes trans*, travesties, drag-queen, racisées* ou pauvres ont souvent été au premier rang des luttes, elles se sont vues par la suite mises à l’écart du mouvement (comme ça peut être le cas également dans des mouvements féministes). Aussi, dans certaines communautés d’hommes gays (culture gay, lieux de rencontre comme bars ou boîtes de nuit, sites de rencontre), les hommes vus comme « efféminés » peuvent parfois être exclus et stigmatisés ; de même pour des lesbiennes qui seraient trop « masculines ». Ou encore, des personnes queer séropositives peuvent rencontrer un vif rejet dans certains milieux LGBTQIA+. C’est ainsi que des personnes peuvent être écartées de la lutte. Se souvenir de l’histoire de celle-ci, des « normes sociales » contre lesquelles on se bat et réaffirmer les valeurs que l’on défend est essentiel pour faire front commun et militer de manière articulée entre féministes, lesbiennes, bi*, gays, transgenres*, intersexes* et toute autre personne à la marge des « normes majoritaires ».
*LEXIQUE
ASEXUEL·LE Qui ne ressent pas de désir sexuel, ou alors seulement ponctuellement et rarement ou dans certaines conditions, pour les personnes se définissant comme gray-sexuelles ou demi-sexuelles.
BISEXUEL·LE OU BIROMANTIQUE Attiré·e sexuellement/affectivement par plusieurs genres, ou attiré·e par les personnes de son genre et d’autre(s) genre(s).
CISGENRE Qui s’identifie au genre qu’on lui a assigné à la naissance.
DYADIQUE Qui correspond aux standards mâles ou femelles, ou autrement dit qui n’est pas intersexe.
GENRE Alors que le sexe renvoie aux aspects biologiques, le genre renvoie quant à lui aux rôles sociaux attribués aux individus en fonction de leur sexe et qui font l’objet d’une construction sociale et culturelle. D’autre part, on parle aussi d’identité de genre, c’est-à-dire un ressenti intime d’identification à un ou des genre(s), qui n’entre pas forcément dans la binarité homme/femme.
HÉTÉRO-CIS-SEXISME Système normatif de pensée, représentations, comportements, qui discrimine toutes les personnes non hétéro et non cisgenres.
INTERSEXE Qui présente des « caractères sexuels qui, en raison d’une large gamme de variations naturelles, ne correspondent pas à la définition type du masculin et du féminin, notamment en ce qui concerne l’anatomie sexuelle, les organes reproducteurs ou la disposition des chromosomes ». (Définition du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme)
RACISÉ·E « Qui souffre de façon continue et/ou systémique du racisme, sur des plans institutionnels, économiques, interpersonnels et sexuels, entre autres plans. » (Définition de Queer Paris)
TRANSGENRE Dont l’identité de genre diffère du genre assigné à la naissance.
[1] Le « A » du sigle LGBTQIA+ peut également signifier « agenre » ou « aromantique ».
[2] Jusqu’en 1970, l’Organisation Mondiale de la Santé considérait l’homosexualité comme une maladie mentale. Dans certains pays, ne pas être hétérosexuel·le est encore puni par la loi.