C’est dans un contexte budgétaire compliqué lié à une situation instable au niveau international qu’est adoptée, en 1981, la loi D’Hoore. Inflation galopante, crise économique, «chômage massif»… pour faire face, les autorités belges décident de créer trois catégories d’allocataires en assurance chômage (mais aussi pour d’autres revenus de remplacement) : chef·fe de ménage, isolé·e et cohabitant·e. Problème? Ce modèle familialiste et patriarcal, encore d’actualité, pénalise tout particulièrement les femmes…
L’abolition du statut de cohabitant·e, une lutte féministe
Dès sa mise en place, la loi D’Hoore base ses critères sur la relation de parenté, dont le mariage et plus tard la cohabitation légale. La∙le titulaire avec les personnes à sa charge est dès lors qualifié∙e de « chef∙fe de famille » (si elle·il vit seul∙e avec enfant(s) ou si elle·il vit avec un·e conjoint·e ou partenaire qui n’a pas ou peu de revenus — selon plafond). Selon ce modèle, par son travail, la∙le « chef∙fe de ménage » ou « travailleuse∙eur ayant charge de famille » ouvre des droits sociaux dont vont bénéficier sa∙son épouse∙oux et ses enfants en tant que « personnes à charge ». Ainsi, les personnes « n’ayant pas charge de famille » voient leurs allocations réduites (si elles se mettent en ménage avec une personne qui a un revenu professionnel ou de remplacement).
Déjà à l’époque, les associations féministes dénonçaient ce système. Ce schéma favorise en effet le modèle de la femme au foyer plutôt que de promouvoir l’autonomie financière des femmes par le travail ou par l’octroi de droits propres sur base de cotisations, de crédit-temps ou d’un travail à temps partiel.
Vingt ans plus tard, malgré les évolutions sociétales, le statut de cohabitant·e continue à renforcer leur dépendance économique à l’égard de leur conjoint et à miner le principe de solidarité collective.
En se basant sur la disponibilité et le partage des ressources financières provenant d’un autre membre du ménage, en l’occurrence la∙le conjoint∙e ou la∙le concubin∙e, le statut de cohabitant·e entraîne un effet secondaire dévastateur pour l’autonomie des femmes. Celui-ci les amène à renoncer à leur activité professionnelle en cas de temps partiel ou de bas salaire. Le statut de chef∙fe de ménage est en effet plus avantageux pour la famille si on prend en compte les montants des allocations et les inconvénients du statut de cohabitant·e. Ce statut crée une dépendance et un isolement relationnel contraire à l’autonomie des femmes et à l’égalité entre les femmes et les hommes. Il contribue à la reproduction d’un modèle patriarcal.
Un modèle complètement dépassé
Aujourd’hui, la lutte pour l’égalité entre les hommes et les femmes rassemble de plus en plus d’adeptes et le statut de cohabitant·e crée des situations de dépendance qui y sont profondément contraires. Que penser de cette mère célibataire qui doit demander à son enfant de quitter le foyer dès lors qu’elle·il a atteint sa majorité, accédant ainsi au marché du travail et au droit aux allocations, pour éviter de se voir octroyer le statut de cohabitante ? Ou de cette femme vivant sous la contrainte d’un conjoint violent, mais qui ne dispose d’aucune ressource propre lui permettant de s’enfuir du foyer pour se sauver la vie ? Ou encore de celle qui vit sous la menace constante d’un contrôle domiciliaire entraînant une anxiété sans borne ?
Dans une société en pleine mutation, le statut de cohabitant·e ressemble de plus en plus à une aberration, car il empêche tout principe de solidarité. Impossible aujourd’hui d’accueillir sous son toit une personne malade en invalidité sans voir une diminution drastique de ses allocations par la perte de son statut de personne isolée. Impossible aujourd’hui d’envisager de vivre en colocation ou encore de cohabiter avec une personne pensionnée… À l’heure des familles monoparentales, des habitats collectifs, des familles recomposées et autres modes de vie communautaire, la notion d’« un couple sous un toit » n’est définitivement plus la norme.
Le coût des logements, la préservation de l’environnement, l’évolution des modes de relations sont autant de facteurs qui mènent à diversifier les types de cohabitation. La suppression du statut de cohabitant·e permettrait aussi de lutter contre l’isolement social et le mal-logement. Cette mesure couperait l’herbe sous le pied des « marchand·e∙s de sommeil », avec des bénéfices non seulement en termes de santé publique, mais aussi au niveau environnemental en ne participant pas au maintien de ces bâtiments « boîtes aux lettres », demeurant bien souvent de réelles passoires énergétiques.
Statut de cohabitant·e, 100 % perdant·e !
C’est dans ce contexte qu’une vaste campagne, « Statut de cohabitant·e, 100 % perdant·e », a été lancée conjointement en 2022 par le mouvement Présence et Action Culturelle (PAC) et le Centre d’Information et d’Éducation Populaire (CIEP) du Mouvement Ouvrier Chrétien (MOC), pour faire pression sur le politique en vue des élections de 2024. Parallèlement, ces associations d’éducation permanente ont également mis en place, avec le Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté (RWLP), une plateforme afin de mutualiser toutes les forces sur le terrain qui se déclarent contre le statut de cohabitant·e. Objectif ? La suppression le plus rapidement possible de ce statut de cohabitant·e, rien de moins.
Pour découvrir la campagne de la plateforme : https://www.stop-statut-cohabitant.be/