Dans un monde en constante évolution, l’espace public ne se résume plus seulement à des lieux physiques tels que les parcs ou les rues. Les réseaux sociaux et internet sont eux aussi devenus des espaces de rencontres et de découverte. À portée de clic, chacun-e peut contribuer à faire vivre un endroit qui défie les lois de l’espace et du temps. Pourtant, si 94 % des Belges utilisent internet, les femmes restent très souvent invisibilisées sur la toile…

Octobre 2018, Donna Strickland devient la troisième femme à recevoir le prix Nobel de physique avec ses collègues Gérard Mourou et Arthur Ashkin. Pourtant, si son travail a été reconnu par l’Académie, aucune page Wikipédia n’existait avant l’annonce des résultats. Quelques mois plus tôt, une Américaine avait pourtant soumis un brouillon de biographie rejeté par l’encyclopédie en ligne. En cause ? La physicienne ne correspondait pas aux « critères de notoriété », c’est-à-dire qu’elle n’était pas assez connue pour figurer sur le site. Ses collègues masculins avaient pourtant tous les deux des pages à leur nom.

Sur Wikipédia, l’un des 10 sites les plus consultés au monde, seulement 17  % des fiches biographiques représentent des femmes. La disparité est encore plus grande dans le domaine scientifique. Pourquoi ? Le phénomène peut s’expliquer pour plusieurs raisons. Tout d’abord, parce que peu de contributeurs sont des contributrices. Selon Rémi Mathis, ancien président de Wikimédia France, une association pour le libre partage de la connaissance : « Entre 10 et 30 % de femmes éditent sur le site, c’est une minorité. » Sue Gardner, ancienne présidente de Wikimédia aux États-Unis, souligne également que les femmes ont moins de temps dans leur quotidien à accorder à la rédaction d’articles bénévoles car elles sont souvent en charge des tâches ménagères. Régulièrement victimes de propos misogynes sur les forums de la plateforme (voir notre article sur le cyberharcèlement), les femmes sont également peu encouragées à produire des contenus. Elles manquent alors parfois de confiance et ne se sentent pas légitimes pour rédiger des articles… C’est ce qu’on appelle le syndrome de l’imposteur.

YOUTUBE : DÉMONÉTISATION + SYNDROME DE L’IMPOSTEUR = SEXISME

Victimes régulières de moqueries et de cyberharcèlement, les femmes osent également moins s’exprimer sur des réseaux sociaux tels que YouTube. Marie Camier Theron, cofondatrice des Internettes, une association qui a pour objectif de mettre en avant les femmes sur YouTube explique que : « C’est surtout une question d’éducation. Depuis toutes petites, on leur dit de ne pas parler trop fort ou de ne pas trop bouger tandis que les garçons sont encouragés à s’exprimer et prendre de la place. Au final, quand elles arrivent sur YouTube, elles sont plus sujettes au harcèlement des haters [1], notamment sur leur physique. »

Outre le cyberharcèlement, les femmes sont également victimes des algorithmes de la plateforme. Les youtubeuses/eurs sont notamment rémunéré-e-s grâce à la publicité qui se trouve avant le contenu qu’elles/ils produisent. S’il n’y a pas de publicité avant la vidéo, il n’y a non seulement plus de rentrées d’argent mais également un mauvais référencement sur le site. La vidéo sera donc moins visible pour les internautes. Or, depuis quelques mois, de nombreuses vidéos à caractère féminin et/ou féministe ont été démonétisées. C’est le cas par exemple de la youtubeuse Charlie Rano [2] ou de la chaîne Parlons peu, mais parlons ! qui aborde sans tabous la sexualité féminine. Si la plateforme est plutôt réticente vis-à-vis de vidéos sur le cancer du sein ou sur l’endométriose [3], il y semble plus facile de parler de pénis. Comme l’explique Marie Camier Theron : «  La plupart des vidéos humoristiques dans lesquelles des hommes font semblant de pratiquer un acte sexuel ou parlent de leur pénis ne sont jamais démonétisées. » Pour éviter toute invisibilisation et réussir à subsister, certaines femmes se voient contraintes de s’autocensurer en lissant leurs contenus ou en évitant d’aborder certains sujets. Pour Marie Camier Theron, les annonceuses/eurs ont leur part de responsabilité en favorisant la monétisation de vidéos aux contenus inoffensifs et populaires tels que les vlog [4] voyage ou les tutos maquillage.

MOBILISATION ON ET OFF LINE

Face à ces inégalités persistantes, de nombreuses associations se mobilisent et organisent des actions afin d’offrir une meilleure place aux femmes sur le web. Ainsi, des Edit-A-thon sont organisés partout dans le monde afin de produire des biographies de femmes pour alimenter Wikipédia, les FPS de Liège en organisent d’ailleurs régulièrement ! En France, les Internettes ont réalisé une plateforme qui recense des youtubeuses issues de tous horizons afin de leur offrir une meilleure visibilité. Mieux encore, elles ont produit un très beau documentaire (Youtube  : elles prennent la parole : https://www. youtube.com/watch?v=GiCooRTPYTo).

[1] Haters est le terme anglais pour cyberharceleur.

[2] L’une de ses vidéos où elle embrassait un écureuil en peluche et se baignait en petite culotte a été démonétisée.

[3] Deux vidéos de Parlons peu, mais parlons ! qui ont été démonétisées.

[4] Il s’agit de blogs vidéo.

Autrice
AutriceElise Voillot