Le temps de travail est un facteur réfléchi, négocié et aménagé depuis des décennies tant celui-ci détermine notre rapport au travail. Aujourd’hui, sa réduction, sans perte de salaire et avec embauche compensatoire, est un enjeu féministe, de gauche, visant le progrès collectif. Mais de quoi s’agit-il exactement et où en est-on dans sa mise en œuvre?

La réduction collective du temps de travail (RCTT), qu’est-ce que c’est ?

Depuis les années 1980, aucune RCTT n’a été mise en place en Belgique. Pourtant, le temps de travail a, auparavant, fait l’objet de nombreuses avancées. De plus, notre productivité n’a jamais été aussi importante ! Mais les politiques publiques et les entreprises, plutôt que d’améliorer les conditions de vie des travailleuses·eurs, préfèrent appliquer des stratégies néolibérales qui dérégulent le marché de l’emploi et favorisent le gain de capitaux dans les mains d’une minorité. Pensons par exemple à l’augmentation du nombre de temps partiels contraints, souvent occupés par des femmes, à la multiplication des emplois précaires basés sur une flexibilité accrue ou encore à la surcharge de travail, qui concerne de plus en plus de travailleuses·eurs. Or, une solution existe pour répondre à la fois au chômage des un·e·s, mais aussi au surmenage des autres : la semaine de 32 heures, en 4 jours [1] , qui permettrait une meilleure répartition du temps de travail entre les citoyen·ne·s. Attention, il ne s’agit pas de continuer à assumer les mêmes tâches en bénéficiant de moins d’heures de travail, mais bien d’organiser une politique d’embauche compensatoire. Cette RCTT doit donc être massive et surtout, ne pas précariser davantage, ce qui implique le maintien des salaires actuels.

Une mesure bénéfique pour les femmes

Sollicitée de longue date par la société civile, mais aussi par certains syndicats, tels que la FGTB, la RCTT, sans perte de salaire et avec embauche compensatoire, poursuit plusieurs objectifs : travailler moins pour vivre mieux, que ce soit dans la sphère professionnelle comme privée, dégager des emplois permettant à tou·te·s de s’insérer sur le marché du travail, mais aussi pouvoir profiter de davantage de temps libre pour s’instruire, échanger, créer du lien ou encore s’investir socialement, politiquement ou dans des loisirs. La RCTT est donc porteuse d’une vision de société humaine, juste, solidaire, mais aussi égalitaire. En effet, « un resserrement des durées travaillées par les hommes et les femmes autour d’une durée de travail standard à temps plein plus courte apparait comme un levier essentiel pour lutter contre les discriminations faites aux femmes sur le marché de l’emploi, pour favoriser l’investissement des pères dans la sphère familiale et pour tendre vers une société […] où chacun·e est libre de ses choix de vie ». C’est pourquoi il s’agit pour nous d’une revendication fondamentale.

Un projet qui peine à être mis en place de manière structurelle

Ces dernières années, plusieurs entreprises et pays européens, tels que l’Islande ou la France, ont décidé de tenter l’aventure et d’appliquer une certaine forme de RCTT. Des expériences au cas par cas qui se sont révélées tout à fait positives, menant à une meilleure productivité, à la suppression des tâches inutiles ou encore à un bien-être accru des travailleuses·eurs. En Belgique, la question de la semaine de 4 jours de travail est apparue sur la table des négociations fédérales en octobre 2021. Cette proposition, qui a fait l’objet d’un accord au sein de la réforme du marché du travail en février de cette année, n’est en réalité qu’une énième tentative d’exploitation néo-libérale des travailleuses·eurs… Dans les faits, le gouvernement souhaite leur proposer, sur base volontaire, d’aménager leur temps de travail en le concentrant sur 4 jours de 9,5 heures. Un régime qui n’offre donc aucune RCTT et qui menace davantage l’équilibre précaire entre vie professionnelle et vie privée, surtout pour les femmes. Au niveau local, la ville de Bruxelles propose quant à elle, depuis cette année, une réduction du temps de travail sans perte de salaire pour ses fonctionnaires, mais uniquement sous certaines conditions : avoir 60 ans ou plus, une ancienneté de cinq ans minimum, être à temps plein et exercer un des quinze métiers considérés comme pénibles (horticultrices·teurs, puéricultrices·teurs, agent·e·s de nettoyage, etc.). Ce modèle, qui se limite à certaines catégories de travailleuses·eurs et/ou à certains secteurs, n’est toutefois pas nouveau. Les communes de Thuin et d’Anderlecht ou encore la Région wallonne avaient déjà étudié ce type de projets. Selon le journaliste Christophe Leroy, ces petites avancées sont, pour le moment, les seules à espérer dans notre pays. Sans surprise, pour la droite et le banc patronal, la mesure est irréaliste en raison de son coût, mais aussi des impératifs de rentabilité dans le secteur privé. Pourtant, la RCTT pourrait créer 300 000 à 500 000 emplois en Belgique. Celle-ci mènerait à la réduction des dépenses en allocations de chômage, mais aussi en soins de santé, grâce à une meilleure qualité de vie et à la diminution du nombre de burn-outs et de maladies de longue durée. Une vision sociale et durable qui pourrait, par ailleurs, être financée grâce à l’application d’une fiscalité plus juste, bénéficiant enfin aux travailleuses·eurs et non pas aux actionnaires.

[1] À savoir que d’autres répartitions peuvent exister en fonction des réalités des secteurs (par exemple, travailler des 3 semaines pleines (16 jours) pour ensuite avoir 4 jours de congés d’affilés.

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AuteurFlorence Vierendeel