Je ne vous le cache pas, si le confinement a ajouté à ma vie quotidienne bien des contraintes, de l’angoisse et de la colère liées aux nombreux enjeux qui ont émergé depuis le début de la crise, il y a un domaine où la pression s’est quelque peu relâchée… Après ces jambes que je rase tout au plus une fois par saison, j’ai décidé de mettre mon soutien-gorge en quarantaine pour de bon !

Noyée sous les « conseils pour ne pas ressembler à Chewbacca »

Dans mon nouveau rituel anxiogène de lecture sans fin d’articles sur la crise sanitaire, se glisse parfois un sujet un peu plus divertissant : le fameux « comment ne pas se laisser aller » et ses joyeux conseils pour rester « féminine » en toute circonstance. Il ne faudrait pas que cette folle période cause trop de séquelles esthétiques. Imaginez-vous en détresse respiratoire, en route vers les urgences. Et voilà que vous apercevez du poil sur vos gambettes. Ni une, ni deux, vous rebroussez chemin et prenez votre mal en patience. Heureusement, ce scénario catastrophe ne vous arrivera pas, grâce à ce tuto « Beauté et confinement : nos conseils pour ne pas ressembler à Chewbacca » que vous suivez scrupuleusement ! Les normes esthétiques et l’idéal de beauté pourraient aujourd’hui se résumer ainsi : « les hommes se soumettent le plus souvent au diktat de la virilité associée à la force physique et la non expression des sentiments, les femmes, quant à elles, subissent ces rôles en adhérant à l’image de la femme-objet, séduisante, parfaite physiquement » , vouée à plaire aux regards d’hommes hétérosexuels. Dès lors, prendre soin de soi n’est pas toujours (uniquement) source de bien-être et peut vite s’apparenter à une nouvelle injonction à respecter. Cette charge esthétique « intensifie ainsi la “triple journée de travail des femmes” qui, après le travail rémunéré et le travail domestique, doivent “consacrer une part significative de leur temps à l’entretien de leur apparence” ». Ces diktats, explique Mona Chollet dans son essai Beauté fatale, les nouveaux visages d’une aliénation féminine, amènent les femmes « à tout accepter de leur entourage ; […] à toujours se sentir coupables de quelque chose ; à s’adapter à tout prix ».

Snober les normes de beauté, un acte de résistance !

C’est vrai, ma décision de ne plus porter de soutien-gorge n’est pas sortie de nulle part. Même si dans mon cas, c’est l’ambiance d’un long dimanche de confinement et sa paresse associée qui m’ont fait sauter le pas, je dois admettre qu’encore plus puissante que la flemme, ma passion féministe pour le rapport au corps n’y est pas pour rien. Pourtant, ne pas respecter les normes esthétiques, c’est risquer d’être jugé·e, de devenir marginal·e : « être ridé·e, malade ou gros·se est considéré comme un manque de volonté, de prise en charge de soi-même. La santé, la beauté sont devenues des challenges qu’il faut relever chaque jour, avec “détermination et volonté” ». Et gare à celles et ceux qui ne s’y conforment pas ! Chez certain·e·s, l’épidémie a exterminé toute once de bienveillance et de solidarité. La grossophobie, le bodyshaming et le cyberharcèlement ne sont malheureusement pas confinés…

Rester confiné·e chez soi, une « bonne nouvelle » ?

Face à ces discriminations, on pourrait se sentir soulagé·e d’être confiné·e chez soi. Dans une tribune de Libération, Camille Froidevaux-Metterie semble se réjouir de ce retour contraint à la maison, libérateur du regard des autres : « eh bien la bonne nouvelle, c’est que nous en sommes débarrassées ! Dès lors, rester chez soi, c’est aussi pouvoir faire enfin de nos corps ce que nous voulons ». Les femmes, libres et pleinement elles-mêmes uniquement lorsqu’elles sont enfermées dans leur foyer ? Tiens, vous la flairez l’arnaque ? Cela incite une fois encore les femmes à ne pas s’aventurer dans le monde extérieur et leur rappelle qu’elles ne sont pas les bienvenues dans l’espace public. Dès qu’elles passent le pas de la porte pour sortir, les femmes entrent dans un monde où les hommes sont chez eux. Et pour ne pas être sanctionnées, elles « doivent n’être ni trop ni trop peu attirantes : dans le premier cas, elles risquent de ne pas être jugées crédibles […] et si elles se font harceler sexuellement, elles l’auront bien cherché ; dans le second, elles s’exposent aux réflexions désobligeantes pour avoir manqué à leur rôle de récréation visuelle et de stimulant libidinal ».

Chassez le  « naturel » et qu’il ne revienne pas au galop !

Alors comment s’y retrouver face à ces injonctions, par ailleurs contradictoires ? À chacun·e de faire comme bon lui semble ! Pour celles et ceux qui le souhaitent, il n’est jamais trop tard pour s’émanciper des règles imposées par la société patriarcale. La période surréaliste qui s’est installée dans nos vies peut donner un coup d’accélérateur. Des femmes à poils ou sans soutien-gorge ; des hommes qui laissent leur « panoplie de mâle dominant au vestiaire »? On dit oui ! En espérant qu’ensuite tout ne revienne pas à la « normale ». Chassons le « naturel» et qu’il ne revienne pas au galop !

Mathilde LargepretAutrice