
Et si les liens les plus étroits que l’on créait au cours de sa vie n’étaient pas forcément ceux du sang ? Et si, pour certain∙e∙s, il y avait des relations plus solides qu’un éventuel couple ou une potentielle descendance ? Réinventer des liens ou en créer de nouveaux, c’est ce que propose la « famille choisie », une réalité qui se diffuse dans la communauté LGBTQIA+ notamment.
Un cocon sécurisant dans un monde en crise
Le projet d’avoir une famille choisie vient d’une envie de créer un espace dans lequel se sentir entièrement soi-même et reconnu∙e, besoin qui n’est pas toujours comblé par la famille d’origine n’arrivant pas forcément à jouer son rôle de support affectif et matériel adéquat. En effet, au sein des familles, il peut y avoir de l’incompréhension, du rejet ou diverses formes de violences, même avant le moment où une personne fait son coming out. En parallèle, dans sa famille d’origine, il est très courant d’être la∙le seul∙e à être queer [1]. On n’est évidemment pas LGBTQIA+ de mère/père en fille/fils. Il faut donc chercher hors de sa famille nucléaire si l’on veut s’entourer de semblables aux vécus similaires et ainsi trouver du soutien et de la compréhension de la part de pairs. La famille choisie vient en complément ou à la place de la famille d’origine. Dans un cadre où l’on se sent en sécurité, ce nouvel entourage permet du répit loin des discriminations subies dans le monde extérieur. Le climat social et politique actuel, en Europe comme ailleurs, fait augmenter l’insécurité et les violences de tout type envers les groupes discriminés. Quelques exemples parmi d’autres : en Belgique, 53 % des personnes LGBTQIA+ ont été harcelées en 2023. En France, entre 2022 et 2023, les crimes et les délits envers cette communauté ont connu une hausse de 19 %. À travers le monde, la transphobie augmente considérablement et se traduit parfois en meurtres.
Vivre dans un monde qui n’accueille pas les existences qui sortent de la norme et peut même leur être hostile ou violent demande une force de résilience collective et individuelle, mais aussi un système d’entraide entre les personnes concernées pour contrer les impacts négatifs, apaiser la détresse et favoriser le bien-être. Les bienfaits d’une famille choisie sont puissants, beaux et nombreux.
Des liens à construire et entretenir
Quelques nuances doivent cependant être apportées. Toute personne de la communauté LGBTQIA+ désirant rentrer dans ce schéma-là n’y arrive pas forcément ; les liens aussi forts ne se créent pas toujours. Il peut même y avoir un grand sentiment de solitude lorsqu’on est une personne queer, mais également des tensions et conflits dans le monde LGBTQIA+ qui peuvent freiner la réalisation de ce projet. Des liens tissés peuvent finir par s’estomper et la famille choisie se fragiliser.
De plus, contrairement aux LGBTQIA+ qui bénéficient de divers privilèges (classe socio-économique moyenne ou élevée, absence de statut migratoire, blanchité, jeunesse, être cisgenre, etc.), d’autres vivent des discriminations multiples qui s’entrecroisent. On pensera par exemple aux personnes trans, non binaires, âgées ou vivant en milieu rural, et également aux LGBTQIA+ racisé∙e∙s qui peuvent vivre du racisme en plus des LGBTphobies. La famille choisie « permet de créer des solidarités que ces groupes de personnes n’arrivent pas toujours à développer au sein des communautés LGBTQIA+ blanches ou au sein de leur communauté ethnique d’origine ».
Repenser la famille depuis les marges
Enfin, repenser la famille, cela peut sembler de prime abord insensé ou pour le moins original. C’est oublier que par les époques et dans d’autres cultures, les familles diffèrent de notre vision occidentalocentrée actuelle. La communauté LGBTQIA+, dans notre société cishetéronormée [2] toujours d’actualité, se voit reléguée de facto dans les marges. Cette position donne l’occasion de faire bouger les lignes. C’est à partir de ces espaces que des imaginaires neufs se créent et que des pratiques innovantes voient le jour. Ces nouvelles manières de faire sont pleinement réfléchies, prennent en compte le soin des un∙e∙s pour les autres et ouvrent de plus larges horizons pour s’adapter, guérir et résister au tumulte du monde.
Cet article est extrait de l’analyse Soralia 2024 « Famille choisie et culture du care dans la communauté LGBTQIA+ » de Mathilde Largepret
[1] Le terme queer regroupe « toutes les identités de genre et orientations sexuelles qui s’éloignent de la norme, ou représentent une identité à part entière, non-définie ». Pour en savoir plus : COTTIN Eva, « LGBTQIA quoi ? Quels mots employer pour parler de sexes et de genres, pour quelles réalités et quels enjeux ? », Analyse FPS, 2019
[2] Dans la société qui nous entoure, on considère encore l’hétérosexualité et le fait d’être cisgenre (dont le genre correspond au sexe assigné à la naissance) comme une norme valorisée.